Gil Tardieu et moi, c’est une histoire de longue date ! Nous nous sommes rencontrés lorsque j’étais mannequin à Paris. Puis, avec le temps nous nous sommes malheureusement perdus de vue… Un jour, lors d’un défilé parisien, je passe par les backstages accompagnée d’un ami créateur quand j’entends mon nom. C’était Gil ! Quelle surprise et quel plaisir de le revoir tant d’années après !
Comme quoi, le monde est petit, et celui de la mode encore plus !
Bonjour Gil Tardieu. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus. Comment vas-tu ? Tu exerces la profession de directeur artistique de défilés et de projets autour de la mode. Peux-tu nous en dire davantage sur ton rôle ?
C’est un métier que j’ai appris en l’exerçant et pour lequel il n’y a pas d’école à proprement parler. J’ai pour ma part exercé les métiers suivants : danseur puis chorégraphe avant de me consacrer à plein temps à la mode. La danse m’a beaucoup appris : l’élégance du mouvement et le plaisir d’avoir un contact direct avec le public. La chorégraphie, quant à elle, m’a appris à savoir utiliser l’espace, à monter un spectacle et à faire passer mes propres émotions par le biais des danseurs.
Je me suis ensuite intéressé à la scénographie : savoir reconnaitre les différents types d’éclairage de scène en fonction de l’espace et de la mise en scène souhaitée.
Enfin, ces 10 dernières années, j’ai appris à utiliser et à produire des images et des vidéos. Cela accroît la force de la mise en scène qu’un couturier essaie d’envoyer à son public.
C’est donc un métier très complet, un métier artistique qui demande du savoir-faire et de la culture. Il faut savoir se mettre au service du couturier pour l’aider, par le biais d’une collection, à délivrer son propre message et faire en sorte que celui-ci puisse faire ressortir ses propres émotions. Cela se fait sur scène au moyen de la chorégraphie (allant du minimalisme à des trajets très étudiés), de la scénographie et de la musique.
C’est un métier passionnant ! Contrairement à un spectacle, on n’a pas le droit à l’erreur. C’est bien souvent une performance unique avec peu ou pas de répétition générale.
Qu’est-ce qu’un mannequin doit avoir dans son sac ?
Je dirais que ça dépend des mannequins et de ce qu’elles véhiculent comme image. Mais au minimum : une trousse de maquillage, une brosse à cheveux et de quoi se les attacher, une paire de hauts talons, un string chair, éventuellement une petite robe noire basique et du déodorant. (rire)
Quels étaient les critères qu’exigeaient les couturiers à l’époque pour les mannequins ?
La taille (entre 1.76m et 1,80m), la finesse des membres, la démarche, une grâce naturelle pour porter les vêtements les plus sophistiqués de la manière la plus naturelle possible, la présence scénique et la finesse des traits.
Combien de défilés par jour pouvait faire un mannequin ?
Cela dépendait des domaines : pour les salons du PAP ou autres, les mannequins pouvaient reproduire 6 ou 7 fois le même défilé.
Pour la couture, c’était moins : 2 ou 3 seulement. En effet, il y avait plus de préparation entre chaque défilé. Et puis, les horaires n’étaient pas toujours compatibles entre les couturiers eux-mêmes pour pouvoir en faire davantage.
Avais-tu ton « mannequin préférée » ? Sur quelles caractéristiques ?
J’avais mes préférées bien sûr ! Vu mon passé artistique, c’était souvent les mannequins qui savaient interpréter un rôle. Celles qui remplissaient l’espace de leur seule présence et dont la personnalité, comme les actrices, restait palpable quelle que soit le modèle qu’elles présentaient sur le podium. Ces filles, souvent très simples, se transformaient en déesses le temps d’un défilé et possédaient un don unique de dédoublement.
Je me suis souvent méfié des mannequins qui, dans la vie de tous les jours, étaient excessivement coiffées et maquillées. Cela sert souvent pour cacher un manque de confiance en soi et ça se ressent sur le podium.
Peux-tu nous partager une anecdote (drôle) d’un défilé ? Celle qui t’as le plus marqué ?
J’ai une anecdote qui remonte à mes débuts dans la couture qui n’est pas très drôle mais qui m’a servi d’exemple pour le reste de ma carrière.
Au début des années 90, quand la mode est devenue d’actualité, les premiers top modèles internationaux ont fait leur apparition. C’était des stars qui faisaient les couvertures de Elle et Marie Claire. Je venais d’être engagé par Claude Pétin qui, à l’époque, habillait Isabelle Adjani / Amanda Lear etc …
Elle présentait sa collection à la salle Wagram devant les caméras de France 2 et de très nombreuses célébrités. Bref tout Paris était là !
J’avais tout préparé consciencieusement : l’ordre de passage, les musiques, le temps des changements, etc.
La loge, pendant les changements, était envahie par les journalistes toujours friands de filmer les coulisses, il y avait un monde fou !
Dans ma naïveté, je n’avais pas prévu d’assistant pour me seconder. Les filles, ayant entre 1 ou 3 modèles à présenter, avaient largement le temps de se changer d’un passage à l’autre. Mais elles ne se pressaient pas. Elles buvaient du champagne, donnaient de véritables petites interviews et mettaient un temps infini à se changer. Je voyais arriver la fin de la bande musicale alors qu’on en était qu’à la moitié de la présentation. Pour couronner le tout, le câble qui me reliait à la technique du son et lumière s’est trouvé débranché par inadvertance.
J’ai vécu ce moment comme un immense moment de solitude et de désarroi. Heureusement, il s’est bien terminé car le technicien du son a, lui-même, remis la bande musicale.
D’ailleurs, je n’ai plus jamais refait un défilé depuis sans avoir un solide assistant. (rire)
Quel est ton meilleur souvenir ?
J’ai plein de merveilleux souvenirs ! C’est souvent au final des défilés, lorsque toutes les filles ressortent et que l’on sent le public enthousiasmé, avec la musique, les sourires, le couturier qui enfin détendu vient saluer. Quand je vois tout le monde heureux et joyeux, c’est ça ma plus belle récompense !
Sinon, j’ai vécu par exemple des moments éblouissants au Maroc avec la collection orientaliste de Mr Yves Saint Laurent. Ou alors quand j’ai dirigé Adriana Karembeu absolument divine ! J’ai beaucoup de merveilleux moments dans les yeux et dans le cœur.
Quels sont tes projets pour les années à venir ?
J’arrive à un moment de ma vie où je voudrais faire moins de choses mais mieux les faire.
J’ai beaucoup travaillé à l’international ces dernières années dans de très nombreux pays pour des Fashion Weeks. Ce sont des défilés un peu à la chaîne où l’âme des couturiers se perd dans l’apparence, la surenchère et l’envie de faire parler de soi.
J’ai travaillé avec les plus grands : Yves Saint Laurent, Pierre Cardin, Jean Paul Gaultier, Paco Rabanne. Ils avaient certes tous beaucoup d’exigences mais c’était sans aucun doute au service de leur vision de l’élégance. C’était là leur signature.
Avec le Covid, tous les événements que je devais superviser ont été ajournés mais je me dis que c’est un mal pour un bien. J’ai envie de revenir à des défilés plus proches du spectacle, avec des mannequins mais aussi, pourquoi pas, associés avec des danseurs, dans l’esprit de ce qu’a présenté Jean Paul Gaultier dans son Fashion super freak show.
Une réflexion au sujet de « GIL TARDIEU – L’INTERVIEW »
Thank you for a beautifiul, insightful article. Enjoyed it so much!